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Le «Project 2025», une feuille de route trumpiste pour dynamiter la démocratie américaine

www.liberation.fr Le «Project 2025», une feuille de route trumpiste pour dynamiter la démocratie américaine

Taillé sur mesure pour Trump par un think-tank ultraconservateur, ce plan d’action vise une transformation radicale du mode de gouvernance des Etats-Unis, pour la mise en place autoritaire de nombreuses mesures réactionnaires.

Le «Project 2025», une feuille de route trumpiste pour dynamiter la démocratie américaine

Taillé sur mesure pour Donald Trump par un think tank ultraconservateur, ce plan d’action vise une transformation radicale du mode de gouvernance des Etats-Unis pour mettre en place de manière autoritaire de nombreuses mesures réactionnaires. Des milliers de partisans ont déjà été identifiés et formés pour occuper des postes clés dans l’administration.

«Project twenty twenty-five» : ces trois mots reviennent en boucle, depuis plusieurs mois – et avec une intensité redoublée depuis quelques semaines – dans la bouche des représentants du Parti démocrate et de nombreux acteurs de la société civile opposés au retour de Donald Trump à la Maison Blanche. Le 9 juillet, Joe Biden, alors encore candidat à sa réélection, s’était lui-même fendu d’un bref tweet sibyllin : «Google Project 2025» («cherchez Project 2025 sur le moteur de recherche Google»). De fait, il y a de quoi mobiliser l’attention des électeurs étasuniens. Projet ultralibéral, ultraconservateur, xénophobe, climatodénialiste

Le Project 2025, ou «projet de transition présidentielle», est un programme politique visant à transformer en profondeur les structures de gouvernance fédérales étasuniennes, avec la mise en place d’une administration autoritaire et radicale, et une complète mainmise du Président sur le pouvoir exécutif. Au service d’un projet économiquement ultralibéral, socialement ultraconservateur et protectionniste, farouchement opposé aux droits des femmes, xénophobe, et résolument climatodénialiste.

Le projet – déjà évoqué fin 2023 dans cet article de Libération – a été élaboré sous l’égide d’un think tank («cercle de réflexion») ultra-conservateur très influent, l’Heritage Foundation. L’organisme publie régulièrement, depuis 1981, des recueils de préconisations politiques à destination des présidents républicains, sous le nom de «Mandate for Leadership». La politique reaganienne fut ainsi fortement influencée par les recommandations de l’Heritage Foundation. En 2018, la fondation s’était réjouie de voir que près des deux tiers de ses plus récentes propositions avaient été retenues par Trump pour son mandat. La perspective de la réélection en 2024 de ce candidat a été l’occasion, pour l’organisme, de voir les choses en beaucoup plus grand. En ne se limitant plus à proposer au Président une liste de mesures radicales assortie d’un argumentaire idéologique, mais en mettant sur pied un plan d’action complet garantissant que celles-ci soient mises en œuvre sans délai ni atermoiement. Selon l’Heritage Foundation, «plus de 50 groupes issus de l’ensemble du mouvement conservateur» ont contribué à l’élaboration de ce programme. Edito

En avril 2022, lors d’un dîner de l’Heritage Fondation, Trump saluait le travail «incroyable» qui était mené à son intention : «C’est un groupe formidable, qui va préparer le terrain et élaborer des plans détaillés sur ce que notre mouvement fera […] lorsque le peuple américain nous donnera un mandat colossal pour sauver l’Amérique.» Mais après les récents coups de projecteur donnés au fameux «projet de transition présidentiel», Trump a fait mine de prendre ses distances avec le think tank. Le 5 juillet, sur son réseau Truth Social, il affirmait ainsi «ne rien savoir» du projet : «Je n’ai aucune idée de qui se cache derrière ce projet. Je ne suis pas d’accord avec certaines des choses qu’ils disent et certaines des choses qu’ils disent sont absolument ridicules. Quoi qu’ils fassent, je leur souhaite bonne chance, mais je n’ai rien à voir avec eux.»

Libre à chacun de croire le chef de file du mouvement Maga (Make America Great Again) sur parole, et de ne pas relever que le responsable de la coordination du projet, de même que de très nombreux contributeurs du «Mandate for Leadership» 2025 sont d’anciens collaborateurs de Trump. Parmi ceux qui ont pris la plume, Russell Vought, son ex-directeur du Bureau de la gestion et du budget, qui se trouve par ailleurs être… directeur du programme politique du Parti républicain pour 2024. Plus généralement, au moins 140 membres de l’administration Trump et proches conseillers seraient liés au Project 2025, selon un décompte de CNN. Interprétation radicale de la Constitution des Etats-Unis

Selon les concepteurs du Project 2025, celui-ci repose sur «quatre piliers». Le premier est donc constitué par les 900 pages du Mandate for Leadership, qui dresse non seulement une liste de réformes à mettre en œuvre mais aussi, et surtout, la stratégie envisagée pour permettre de les appliquer. Un deuxième pilier du projet – supposément en cours d’élaboration – consiste en une feuille de route détaillée des actions à entreprendre durant les 180 premiers jours de la présidence, pour s’assurer que rien ne vienne entraver la mise en œuvre du programme.

Pour mener à bien leur projet politique, les coordinateurs du Project 2025 s’appuieront sur une interprétation radicale de la Constitution des Etats-Unis – la «théorie de l’exécutif unitaire» – qui veut que l’essentiel du pouvoir exécutif soit centralisé dans les mains du seul président. Un chapitre, signé par Russel Vought lui-même, l’explique sans détour : «La tâche du président conservateur est de limiter, contrôler et diriger le pouvoir exécutif au nom du peuple américain.» Ce pouvoir exécutif, précise-t-il, doit «rédiger la politique fédérale, l’appliquer et juger si […] elle est correctement mise en œuvre». En pratique, c’est l’ensemble de la bureaucratie fédérale – y compris le département de la Justice – qui serait placé sous le contrôle direct de Donald Trump. Les programmes politiques les plus divers seraient mis en œuvre sur la seule initiative du Président, par un recours généralisé aux décrets présidentiels. Dans une enquête publiée fin 2023, le Washington Post a révélé que l’équipe du Project 2025 travaille d’ores et déjà à la rédaction de ces décrets.

Les coordinateurs du Project 2025 ont, bien évidemment, anticipé l’éventualité de fonctionnaires réfractaires à ce coup de force démocratique. Ils déplorent d’ailleurs, dans les pages de leur pensum ultraconservateur, que le premier mandat de Donald Trump ait dû composer avec un personnel administratif en grande partie constitué de «carriéristes» et «de personnes nommées par Obama». Ils invitent donc à remplacer, aussitôt que possible, l’ensemble des fonctionnaires situés aux postes clés par des personnes entièrement dévouées au président républicain.

Trump n’aura pas à les chercher bien loin, grâce aux troisième et quatrième «piliers» du Project 2025. En effet, ses coordinateurs recueillent ouvertement depuis plusieurs mois les candidatures de tous les volontaires à ce grand jeu de chaises musicales. Ils ont, en outre, mis sur pied une «Académie d’administration présidentielle», consistant en un «programme éducatif et de développement des compétences» en ligne à l’intention de toute personne désireuse «de servir le prochain président conservateur».

Un volet «ressources humaines» central à la bonne marche du plan, qui doit beaucoup au fait que le directeur du Project 2025 n’est autre que Paul Dans – l’ex-chef de cabinet du Bureau de gestion du personnel lors du mandat Trump. Il revendique avoir, par le passé, coordonné le recrutement des 4 000 fonctionnaires pour le Bureau du personnel présidentiel de la Maison Blanche. Et n’ignore pas qu’il faudra disposer d’un contingent plus nombreux, mais aussi assurément loyal, pour rendre l’Amérique «great again». L’Heritage Fondation assure d’ores et déjà compter dans la base du Project 10 000 personnes prêtes à le mettre en œuvre, et espère en disposer du double d’ici la fin de l’année. A noter que, sur le même modèle, mais côté justice, un groupe distinct de l’Heritage Fondation, le «Projet Article 3» (dirigé par un très proche de Trump, Mike Davis) travaille depuis plusieurs années à «identifier, former et mettre en place» des juges ultra-conservateurs aux plus hauts postes – revendiquant avoir notamment permis la prise de poste de trois membres de la Cour suprême (Neil Gorsuch, Brett Kavanaugh, et Amy Coney Barrett), 55 juges fédéraux et 13 juges des cours d’appel. «Nous allons mettre les enfants dans des cages. Ce sera glorieux»

Les rênes du pouvoir dans la main d’un seul homme, avec une armada d’exécutants dévoués, le programme politique idéal de l’Heritage Foundation est prêt à être déroulé.

Le Mandate for Leadership ambitionne de réduire fortement l’influence de l’Etat sur divers aspects de la vie publique. La suppression définitive de milliers de postes de fonctionnaires est planifiée. Egalement parmi les propositions phares : la suppression du département de l’Education. Ce qui n’empêche pas un contrôle du contenu des manuels : les programmes scolaires devront faire disparaître les mentions à la diversité, à l’égalité des genres, ou à la contraception.

Il appelle également à réduire drastiquement les programmes sociaux, y compris la Sécurité sociale et l’Obamacare, le Head Start (aide aux enfants jusqu’à 5 ans), et certains dispositifs comme le plafonnement des prix de quelques médicaments essentiels, tels que l’insuline.

Un volet important du programme concerne «la restauration de la famille en tant que pièce maîtresse de la vie américaine» avec, au menu, d’importantes restrictions portées sur les ventes de pilules abortives, et le déploiement de politiques anti-avortement radicales.

Du côté des politiques environnementales, le programme enjoint le Président à retirer les Etats-Unis de la Convention cadre des Nations unies sur les changements climatiques, ainsi que de l’accord de Paris. Il propose également d’autoriser largement l’exploration et le forage gazier et pétrolier dans les zones appartenant ou contrôlées par l’Etat. Diverses structures étatiques liées à la protection de l’environnement doivent également être démantelées. Les financements fédéraux pour la recherche sur les énergies renouvelables seront interrompus.

Le programme encourage aussi le recours à l’armée et la garde nationale pour des «opérations internes» d’expulsion massive d’immigrants, ainsi que l’abrogation des lois protégeant les mineurs immigrants. Une perspective qui met, d’avance, des étoiles dans les yeux de Mike Davis (cheville ouvrière du Project Article 3, évoqué plus haut) qui, au micro d’un podcast conservateur, se rêvait «procureur général par intérim» lors des trois premières semaines de l’administration Trump «Nous allons déporter. Nous allons expulser beaucoup de gens, 10 millions de personnes, des bébés, leurs parents, leurs grands-parents. Nous allons mettre les enfants dans des cages. Ce sera glorieux.» A cette occasion, le même Davis avait expliqué que les premières tâches de l’administration consisteraient «à virer beaucoup de gens de l’exécutif, de l’Etat profond», inculper les membres de la famille Biden, et «à faire bénéficier d’une grâce présidentielle» l’ensemble des personnes ayant pris part à l’assaut du Capitole le 6 janvier 2021. Ce que Donald Trump a, d’ailleurs, déjà lui-même promis.

Selon l’enquête du Washington Post parue fin 2023, l’un des décrets préparés par l’équipe du Project 2025 viserait à autoriser le déploiement de l’armée à l’intérieur du pays, en vertu de la loi sur l’insurrection de 1871, pour réprimer des manifestations.

Notons enfin que Donald Trump, qui affirme être victime de l’instrumentalisation politique du département de la Justice et du FBI par Biden, avait déclaré début novembre qu’il ne se priverait pas de faire de même contre ses opposants politiques. «Personne ne serait en sécurité dans ce pays»

Selon la Democracy Forward Foundation, organisation étasunienne non partisane à but non lucratif de recherche sur les politiques publiques, le Project 2025 compte parmi «les menaces les plus profondes pour le peuple américain», renverserait «des décennies de progrès en matière de droits civiques» et «redéfinirait le mode de fonctionnement» de la société.

Selon Donald Ayer, ancien procureur général adjoint sous George W. Bush, cité par le Guardian, «le Project 2025 semble contenir toute une série d’idées conçues pour permettre à Donald Trump de fonctionner comme un dictateur, en éviscérant complètement un grand nombre des contraintes intégrées dans notre système. Il veut vraiment détruire toute notion d’Etat de droit dans ce pays. Les rapports sur le projet 2025 de Donald Trump suggèrent qu’il se prépare à faire un tas de choses totalement contraires aux valeurs fondamentales qui ont toujours été les nôtres. Si M. Trump devait être élu et mettre en œuvre certaines des idées qu’il envisage apparemment, personne ne serait en sécurité dans ce pays».

Et l’on peut, sans guère forcer l’imagination, noircir encore le tableau. Rappelons qu’en août 2023, Donald Trump a été inculpé pour avoir tenté d’inverser le résultat de l’élection présidentielle de 2020, notamment en exerçant des pressions pour faire annuler le décompte des votes, ou en demandant à son vice-président de refuser de valider l’élection de Biden, au Capitole, le 6 janvier 2021. Une enquête parlementaire a reconnu une «tentative de coup d’Etat», «encouragée» par Trump. Avec une mainmise sur l’exécutif, une armada de fonctionnaires et de juges entièrement dévoués à servir non pas les Etats-Unis, mais sa personne, il est fort à parier que ce qui n’est resté qu’une tentative aurait alors abouti. Ce qui ouvre des perspectives, à long terme, pour pérenniser le régime rêvé par l’Heritage Foundation bien au-delà d’un mandat trumpiste.

«Nous sommes en train de reprendre possession de ce pays», résumait début juillet le président de l’Heritage Foundation, Kevin Roberts, sur le podcast de Steve Bannon, ancien conseiller spécial de Donald Trump). Et de poursuivre : «La seconde révolution américaine est en cours, qui demeurera sans effusion de sang, si la gauche le permet.»

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