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En Cisjordanie, ne laissons pas l’Etat d’Israël instrumentaliser l’archéologie

www.liberation.fr En Cisjordanie, ne laissons pas l’Etat d’Israël instrumentaliser l’archéologie

Un collectif d’archéologues et d’historiens dénonce un projet qui placerait la totalité des sites archéologiques des Territoires palestiniens de Cisjordanie sous l’autorité de l’Etat hébreu.

En Cisjordanie, ne laissons pas l’Etat d’Israël instrumentaliser l’archéologie

Le Parlement israélien a approuvé en lecture préliminaire, le 10 juillet dernier, un projet d’amendement à sa législation qui placerait la totalité des sites archéologiques des Territoires palestiniens de Cisjordanie sous la responsabilité directe de Israel Antiquities Authority, c’est-à-dire des services archéologiques de l’Etat d’Israël. Une violation du droit international

Ce projet suscite l’opposition des archéologues israéliens aussi bien que palestiniens. L’application en territoire occupé de la législation d’une puissance occupante par sa propre administration est une violation du droit international. En outre cet amendement s’inscrit dans une logique de colonisation. En effet, il est courant que des colonies s’implantent autour de sites archéologiques dits «juifs» (Shiloh par exemple) qui sont alors instrumentalisés en justifiant d’une présence juive historique dans ce qui est aujourd’hui la Palestine. A lire aussi

Ainsi, à Jabal Sabih, au sud de Naplouse, où des prospections ont indiqué la présence d’un site archéologique datant de l’âge du Fer II et de l’époque perse (première moitié du premier millénaire av. J.-C.), la colonie illégale d’Evyatar a été réimplantée en 2023 avec l’accord tacite des autorités israéliennes, et a été officiellement reconnue le mois dernier. Ce processus d’annexion se développe : à Sabastiya, l’antique Samarie (Sébastè), 150 hectares avaient déjà été accaparés au-delà de la zone archéologique, et le 24 juillet 2024, l’armée a informé le maire de Sabastiya de la confiscation de 1 300 m² sur la zone archéologique, au sommet du site, pour aménager une zone militaire. Il y a urgence à réagir, car la Cisjordanie abrite plus de 7 000 sites archéologiques déjà recensés autour des villes et des villages palestiniens. Au nom du «berceau de la nation hébraïque»

L’amendement est justifié par le fait que les régions concernées seraient «le berceau de la nation hébraïque». Cette notion même est problématique, et cette pseudo-justification qui revient à réduire le riche patrimoine archéologique de ces régions à un seul de ses aspects, en omettant l’existence de vestiges préhistoriques, cananéens, romains, byzantins, chrétiens et islamiques, et elle nie l’un des principes de la recherche historique et archéologique, qui est son caractère universel et désintéressé : le passé doit être étudié pour lui-même et non en fonction des appartenances communautaires ou nationales.

Le préambule de l’amendement cite un extrait du Premier Livre des Maccabées (1Macc 15, 33), écrit vers 100 av. J.-C. et qui relate la révolte de la Judée contre l’Empire séleucide et les débuts du royaume hasmonéen, au IIe siècle av. J.-C. Cette citation, qui évoque «l’héritage de nos pères», conquis illicitement, puis recouvré, est en elle-même la revendication d’une continuité entre ce royaume juif de l’époque hellénistique et l’actuel Etat d’Israël. Cette revendication ne contredit pas seulement la réalité historique, elle témoigne d’une confusion entre le passé et le présent qui est contraire à la définition même de la recherche historique et archéologique.

Ainsi, cet amendement concernant les antiquités affirme explicitement une volonté d’instrumentalisation de l’archéologie à des fins politiques et d’annexion, contre laquelle, en tant qu’archéologues et historiens, il est de notre devoir de nous dresser. C’est pourquoi nous nous associons aux protestations de la Society for Palestinian Archaeology et de Israeli Archaeological Association. Il importe de susciter un mouvement international qui puisse aboutir à un retrait de cette proposition. Signataires :

Des membres de l’équipe L’Orient, d’Alexandre à Muhammad (OrAM, laboratoire archéologies et sciences de l’Antiquité) qui regroupe des archéologues et des historiens travaillant sur une aire géographique allant de l’Egypte à l’Asie centrale : Pierre-Marie Blanc, Jean-Claude Bessac, Thibaud Fournet, Mathilde Gelin, Michel Mouton, François Renel, Catherine Saliou, Gaëlle Tallet, François Villeneuve, Kinan al-Ali, Valentina Beretta, Valère Bombeau, Jean-François Breton, Pascale Clauss-Balty, Marie-Christine Comte, Jacqueline Dentzer-Feydy, Parsa Ghasemi, Marion Jobczyk, Bénédicte Khan, Marie Laguardia, Solène Marion de Proce, Pauline Piraud-Fournet, Gérard Thebault et Estelle Villeneuve.

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